Mémoires de Cartouchiers  2/2


Quand     L  A  T  I  L     travaillait à la Cartoucherie . . .

Le promeneur d’aujourd’hui, descendant du tramway à la station « Cartoucherie », traverse la place de la Chartre des Libertés Communales et arrive nonchalamment devant le bâtiment de la Halle de la Cartoucherie

Longtemps cachée derrière les hauts murs qui longeaient l’avenue de Grande-Bretagne, la belle façade de pierres et de briques a été récemment rénovée pour accueillir les visiteurs qui se pressent à l’intérieur depuis le 6 septembre 2023. 

Datant de 1917, cet ancien atelier a hébergé des activités diverses liées à la fabrication de munitions. Celles-ci ont été définitivement arrêtées en 1995, plongeant le bâtiment dans un total abandon pendant plus de 20 ans, avant que des travaux de réhabilitation lui donnent une nouvelle vie.       Mais comment était-il, il y a de cela 20 ans  ? 

Sur cette photo prise en 2003, nous reconnaissons, de droite à gauche : le bâtiment 128 ou M3 (ouverture prochaine d’un cinéma) puis une partie du bâtiment 125 ou M4 au toit rouge (démoli), la façade du 121 ou M2 aujourd’hui la Halle de la Cartoucherie. A sa gauche, celui qui nous intéresse : le 127 ou M7, également détruit.  

Déjà dans les années 1990, sur le mur de ce bâtiment, réapparaissait avec le temps une vieille inscription que la couche de peinture ne pouvait cacher plus longtemps.

 

          Cinq lettres seulement :   

L    A    T    I    L     

 

          Qu’est-ce que cela voulait dire ?  

 

Les plus anciens n’étant plus là pour nous l'indiquer, c’est après avoir effectué quelques recherches qu’une explication nous est apparue :

LATIL était une marque de construction de voitures automobiles, de camions, de tracteurs, d’autocars, d’engins agricoles et forestiers. Fondée en 1897, cette société est évidemment présente lors du premier conflit mondial en produisant des camions tout terrain et des tracteurs d’artillerie.


Le modèle LATIL TAR fabriqué à 3000 exemplaires en 14-18 est transformé en TAR H2, livré en 570 exemplaires à l’armée française, de 1934 à 1940. 

Dans l’entre-deux guerres, LATIL continue d’approvisionner l'armée en fournissant, en petites séries, des modèles tel que le M7T1, la « jeep » française d’avant l’heure.


En 1939, tout le personnel de l’usine de Suresnes est réquisitionné sur place et continue à produire.

Heureusement un plan de repli est établi de longue date  et c’est méthodiquement qu’il est appliqué après la percée allemande du 10 mai 1940. Les personnels et leurs familles empruntent camions et divers véhicules de la société pour commencer un long périple, essuyant mitraillages et bombardements aériens. La longue colonne de véhicules traverse le Massif Central, dirigée par les frères LATIL en personnes. Ce pénible et difficile voyage de 8 jours les amène à Graulhet, dans le Tarn. Ils s'y retrouvent à plus de 3000 et s’installent dans les locaux  des usines d’Aristide Cathalau à l’Albertarié tandis que le matériel est dirigé sur l’usine du Rey.

Mais laissons témoigner Gilberte Théophile qui a vécu ses moments et les a retranscrits dans un article de l'ex-revue graulhetoise  intitulée  "l'Arc en ciel" N°97 et datée d'  « Automne 2004 »  :

" Graulhet leur est apparu alors comme la fin d’un cauchemar, une délivrance, un havre relatif mais combien apprécié après la terrible épreuve de l’exode. Le quartier St Pierre connut alors une animation inhabituelle. L’équipe LATIL ne pouvait imaginer que fuyant la capitale et la zone occupée, elle retrouverait les Allemands en 1942 lors de l’occupation de la zone libre.

Une grande partie des Usines LATIL, des personnels et de leurs familles restèrent à Graulhet jusqu’au printemps 1941. Après l’Armistice de juin 1940, les accords signés avec les Allemands « invitèrent » le Gouvernement de Vichy à transférer, pour des raisons de facilité de transport ferroviaire, les Usines LATIL de Graulhet à la Cartoucherie de Toulouse où sous contrôle étroit, elles fournirent aux Allemands du matériel de guerre.

Le personnel et les familles s’installèrent à la cité Bourrassol (dans le quartier St Cyprien) mis à leur disposition par la nouvelle Municipalité de Toulouse. La moitié environ d’entre eux y restèrent jusqu’à la fin de la guerre, l’autre moitié étant remontée petit à petit à Suresnes. Pour ma part je suis  restée à Graulhet.

Quelques  ouvriers Graulhétois regrettèrent le départ des Usines LATIL. Ils voyaient partir avec elles la fin de la mono-industrie mi-lourde comme la construction mécanique n’avait pas, sur Graulhet, les conditions optimales pour assurer son maintien, à plus forte raison son développement. Pour certains, un rêve s’envolait… c’était la guerre !  Je me devais de vous raconter cet épisode de la vie graulhétoise." 

Et nous, nous nous devions d'évoquer le lien existant entre LATIL, la Cartoucherie et les cités Cépière et Bourrassol.                                                                                                                                            RG   Déc. 2023


Nouveau document précisant le rôle de la Cartoucherie en 14-18.

C’est à la lecture du Rapport de la Commission des Finances du Sénat, édité en 1921, que l’on en apprend davantage sur le rôle de la Cartoucherie pendant la Grande Guerre 

Source gallica.bnf.fr/Bibliothèque nationale de France

https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k6455612c/f54

Ce recueil passe en revue tous les établissements du Ministère de la Guerre  au lendemain du conflit de 1914-1918 Ainsi, à la page 54 nous pouvons lire :

«  Atelier de Fabrication de Toulouse

L’établissement comprenait à la mobilisation une cartoucherie et un atelier du matériel et du harnachement.

D’après le plan de fabrication, la Cartoucherie devait produire, en cas de guerre, en régime définitif, 290 000 étuis, 290 000 balles et 600 000 chargement de cartouches par jour.

L’atelier de matériel devait se tenir prêt à répondre aux demandes de réparation qui lui seraient adressées.

Pour atteindre les rendements de plus en plus élevés (2 millions de cartouches par jour) imposés à l’Atelier de Fabrication par les programmes successifs élaborés au cours de la guerre, il fallut étendre les installations existantes et en outre, pour de nouvelles fabrications, créer deux douilleries, un atelier de réfection des douilles, un atelier de chargement de douilles et tube porte amorce, et des services divers : laboratoire, pyrotechnie, fonderie. 

 

 

Pour donner une idée de l’activité de l’établissement, nous produisons ci-après un tableau récapitulant la production totale de certaines fabrications réalisées pendant la guerre  :

 

 


Opération de filage réalisée probablement dans l'atelier Aa qui deviendra plus tard le 101 (Garages).
Opération de filage réalisée probablement dans l'atelier Aa qui deviendra plus tard le 101 (Garages).

Pour parvenir à un tel niveau de fabrication, il aura fallu construire, embaucher et équiper !

Pages 61 et 62 un tableau du développement des établissements constructeurs de l’artillerie nous donne quelques éléments sur l’expansion de la Cartoucherie entre le jour de la déclaration de la guerre (1er août 1914) et l’armistice (11 novembre 1918) :

Entre ces deux dates, la superficie a très peu augmentée, progressant à peine de 1 003 734 m2 à 1 034 764 m2 (plus de 100 hectares). Les surfaces couvertes elles, s’accroissent  de 79 330 m2 à 206 387 m2 (plus de 20 hectares) et la force motrice, permettant de faire tourner les machines, fait un bond considérable, allant de

260 Chevaux Vapeur en août 1914 jusqu’à 4850 Chevaux Vapeur à la fin de la guerre.

Tout cela a nécessité un investissement total estimé à 14 163 000 Francs (+ de 30 millions d'€uros)

Il est également précisé que l’effectif de l’ATE qui était de 741 au 1er août 1914, culminera à 15 553 personnes le 11 novembre 1918 pour redescendre à 1597 le 1er décembre 1921, à la veille de ce rapport.                               RG


Le Prince-Président Louis-Napoléon en visite au Polygone ...

Après son coup d’Etat du 2 décembre 1851, le Prince-Président réalise un voyage dans le midi de la France afin d’asseoir son objectif : rétablir l’Empire.

C’est dans un but de pure propagande qu’à la mi-septembre, le futur empereur entrprend les visites de Bourges, Lyon, Grenoble, Marseille, Toulon, Montpellier, Carcassonne, Toulouse, Agen, Bordeaux,  Angoulême, La Rochelle, Amboise et rentre enfin à Paris.

Après avoir traversé Baziège, c’est le 4 octobre 1852 à 15h30 que Louis-Napoléon pénètre dans Toulouse par le quartier Saint-Michel.

Le lendemain, il est prévu de commémorer « le simulacre de la bataille de Toulouse » (10 avril 1814) qui vit s’affronter les troupes du Maréchal Soult à celles de Lord Wellington.

Mais cette cérémonie,  annulée par le Préfet au dernier moment, est remplacée par une revue des troupes à midi, sur le terrain du Polygone.

 

« C’était un magnifique spectacle, un de ces spectacles  auxquels il n’est pas donné d’assister deux fois dans sa vie »  

Pour plus de détails : cliquez ci-contre sur l’article paru le

09 octobre 1852  dans Le Mémorial des Pyrénées --->

D’après « L’histoire populaire de Toulouse »

(par Louis Ariste et Louis Braud -  1898) :

« A cette cérémonie furent convoqués les sous-préfets, les juges de paix, les maires et les conseillers municipaux de diverses communes, les fonctionnaires et les citoyens munis de carte, les sociétés de secours mutuels, des députations des départements voisins, etc, etc … »   

Pour donner plus de solennité à l’instant, "les maires, avait déclaré le Préfet, déposeront aux pieds de son 


Altesse Impériale, les vœux de leurs conseils municipaux pour le rétablissement du glorieux empire de Charlemagne et de Napoléon le Grand".                                                               Pas moins que ça !

                                         L’AFFAIRE DU BOUQUET DE FLEURS :

C’est au retour de cette manifestation que Louis Napoléon, à cheval et tenant un bouquet de fleurs artificielles à la main, empruntant la rue Saint Etienne pour rejoindre le palais,  passa devant la boutique de M. B… chapelier.  Une cliente, Mme S.. se tenait proche de Mme B.. qui tenait son enfant dans les bras. Tout le monde cria « Vive l’Empereur ! » Le Prince Napoléon remercia en lançant son bouquet que M. B… ramassa et tendit à Mme S.. qui le garda.

M. B… prétendant qu’il l’avait laissé à Mme S.. pour qu’elle le fasse voir à son mari, lui en réclama la restitution, ce qu’elle refusa, d’où procès.

Après enquête, le juge de paix prononça le 7 janvier 1853, une sentence digne du roi Salomon, par laquelle chacune des parties avait le droit de garder la moitié du bouquet, à moins qu’elle ne préférât remettre 100 Francs à l’autre pour conserver le bouquet entier ......

Le prince-président Louis Napoléon quitte Toulouse le 6 octobre à 7 heures du matin direction Agen.

Il devient Napoléon III le 2 décembre 1852, suite au plébiscite soumis aux français les 21 et 22 novembre 1852.

Nationalement, c’est à presque 97% des suffrages exprimés (suffrage universel masculin) que « Le peuple veut le rétablissement de la dignité impériale dans la personne de Louis Napoléon Bonaparte, avec hérédité dans sa descendance directe, légitime ou adoptive, et lui donne le droit de régler l'ordre de succession au trône dans la famille Bonaparte, ainsi qu'il est prévu par le sénatus-consulte du 7 novembre 1852".

      A Toulouse, le résultat du scrutin fût le suivant :   

           Inscrits  23 358      Votants  15 651        OUI  13 952      NON  1 241       Bulletins blancs  428                  RG.


Pascuala  :    une munitionnette de la grande guerre ...

 

Au hasard de recherches sur Facebookun de nos adhérents à découvert le site de Joël Aznar.

En 2021, pour commémorer à sa façon  la date du 11 novembre, il avait évoqué la mémoire de son arrière-grand-mère, Pascuala DIAZ-SENA.

 

Née en Aragon en 1897, elle avait immigré en France dans les années 1910 et se retrouva embauchée à la Cartoucherie de Toulouse pendant la première guerre mondiale.

Bien qu'étant de nationalité espagnole, elle fut l’une de nos munitionnettes.  

Au regard des effectifs que nous connaissons, inhérents  à cette période, on constate qu’elle fait partie des quelques étranger(e)s qui travaillent alors directement au service de l’Etat.   Sur le front et de par les stratégies menées par les Etats-Majors des deux camps, de plus en plus de vies sont nécessaires alors qu’à l’arrière, chacun(e) participe activement à l’effort de guerre.  


Les besoins en main d’œuvre sont alors phénoménaux car il faut non seulement remplacer les postes laissés vacants par les pères, les maris, les frères et les cousins mais aussi répondre aux besoins démesurés et sans cesse croissants, nécessaires à l'alimentation, l'habillement, l'équipements et l'armement des troupes.

Pour cela, les habitants des empires coloniaux ne sont pas en reste et nombreux constituent les régiments expédiés aux combats pendant que d’autres forment des bataillons envoyés à l’usine.             

    Pascuala fait partie de ce prolétariat.

Comme le rappelle Joël sur son site, les conditions de travail sont pénibles et dangereuses. Les cadences, l’utilisation de produits toxiques, le port de charges lourdes, le bruit, les accidents, ... constituent leur lot quotidien :          11 heures par jour et 6 jours par semaine.

Au-delà de cette vie professionnelle qui occupe une très grande partie de son temps, de sa vie, Pascuala se marie et met au monde en 1918 son premier enfant.

Après une dure vie de labeur, elle décède, entourée de sa descendance en 1982.

A notre tour, nous avons voulu rendre hommage à cette femme qui traversa des périodes difficiles, à cette munitionnette sur qui nous avons pu mettre un visage et pour qui nous connaissons un morceau de vie. Nous l’honorons ici, comme toutes celles et ceux qui, pris dans la tourmente de la grande guerre, connurent un destin similaire.       RG

Merci à Joël de nous avoir permis de parler de son aïeule.

 

A gauche, l’ouvrière travaillant en 1917 à la Cartoucherie ressemble fort à Pascuala.          Peut-être est-ce elle ?  En tout cas l'une de ses collègues.



Quelques cartes de salarié(e)s

C'est au hasard de nos déambulations sur internet que nous avons trouvé 4 cartes concernant des cartouchières ou cartouchiers de différentes époques. Toutes proposées à la vente sur un site bien connu des collectionneurs ces cartes ne sont donc pas en notre possession.

20 juin 1917

Carte de soins gratuits pour  Pascal SIADOUX   mle 12576 et travaillant à l'atelier de réfection des douilles

Années 1940

Carte d'identité au nom de Marguerite CASSÉ

(on remarquera les deux tampons Etat Français et République Française)


28 janvier 1944

Carte d'identité EFPN (Ecole de Formation Professionnelle Nationale) de

Roger LAMAZÈRE

Roger n'effectuera pas sa carrière à l'ATE : Magicien, il ouvrit en 1956 un restaurant à Paris qui connut un succès considérable auprès du tout-Paris de la politique et de la gourmandise.   

Il figure au Who's Who in France.

17 mai 1944

Carte professionnelle attestant de l'emploi à l'ATE de 

Charles LAMAZÈRE en tant que Chaudronnier.

Charles finira comme Chef de l'Atelier de Mécanique à l'Ecole de Formation Technique de la Cartoucherie.



Mais que faisait l'hippodrome de Toulouse sur le terrain du Polygone ?

C’est en consultant le site des Archives Municipales de la ville de Toulouse et en étudiant différents plans de la ville à travers les âges, que cette question s’est naturellement posée à nous.

C’est en effet sur le plan datant de 1847 que l’on constate la présence de l’hippodrome, juste en dessous de l’Ecole d’Artillerie  En voir le détail ci-contre  ->

C'est en cherchant à en savoir davantage que nous avons trouvé sur ACTU TOULOUSE un article sur l'histoire de l'hippodrome de la Cépière.     Extrait :

" ... en 1840, une première journée de courses est organisée sur la prairie des Filtres. Sept ans plus tard, les réunions hippiques se déroulent sur le terrain militaire du Polygone, au nord de la route de Lombez avant que celles-ci ne soient déplacées 20 ans plus tard à La Cépière, à l’initiative de la Société Sportive des Courses de Toulouse. (Texte de Mathieu Arnal) "...


Ainsi, l’hippodrome de Toulouse fût bien installé sur le terrain du Polygone durant 20 années, de 1847 à 1867, (ce qui explique son apparition sur le plan de 1847).

 

Autre document conservé aux Archives Municipales :  une affiche annonçant les courses des mois de juin et juillet 1862 à l’hippodrome du Polygone (comme il y est précisé).

 Pour installer ce nouvel hippodrome, certains aménagements ont été nécessaires, comme en témoigne ce plan de nivellement,   (ici à droite), établi en 1845 pour aplanir le terrain de manœuvre.

Source : Archives Municipales


Que peut-on déduire de l'analyse de ces documents ?

Si l’hippodrome a fonctionné durant deux décennies sur nos terres, nous pensons qu’à cette époque, la plus longue ligne de tir (1650 mètres) n'est plus utilisée sur le terrain du Polygone. Pourtant, celui-ci continue toutefois à servir de champ de tir sur la partie Nord Ouest du site comme l'indique ce même plan.

Créé en 1802 pour tester les canons fabriqués à l'Arsenal et accueillir les servants de l'Ecole d'Artillerie, le champ de manœuvre du Polygone perd peu à peu de son utilité. Il assurera brièvement un nouveau rôle en 1870, à l’occasion de la guerre contre les prussiens : on y reverra alors, mouvements de troupes et exercices de tir.

                   Mais cela est une autre histoire sur laquelle nous aurons l'occasion de revenir ….                   RG.